Avec un budget moyen autour de 4 millions d’euros, la production d’un film coûte cher. Et pour qu’un projet soit « greenlighté » ou « mis en production » en bon français, la société de production qui le porte doit réunir le financement nécessaire à la couverture du coût de fabrication.
Mais quelles sont les sources de financement des films français ?
On entend souvent dans le secteur que « le cinéma est une industrie de prototypes », c’est-à-dire que chaque projet est unique, la même recette n’est jamais utilisée deux fois. Cela se vérifie dans les plans de financement des films qui varient toujours d’un projet à l’autre.
Entre le plan de financement résumé à une ligne d’une production Netflix intégralement financée par la plateforme et les 40 lignes du plan de financement d’une coproduction indépendante entre trois pays, tous les cas de figure existent !
Voici un petit guide pratique pour s’y retrouver.
3 grandes catégories de financement
Notre approche est de répartir les financements en trois grandes catégories, en fonction du coût de l’argent pour la société de production : Love money, Soft money et Hard money.
Ce sont les financements gratuits ou quasi-gratuits pour la société de production, dans la mesure où ils sont apportés sans contrepartie de droits à recettes, ni de droits de copropriété ou bien avec des droits à recettes peu significatifs en proportion du montant du financement.
Ce sont notamment les aides publiques, le crédit d’impôt et le fonds de soutien producteur.
C’est le meilleur argent pour la société de production du point de vue des contreparties demandées, puisqu’il n’est pas ou peu remboursable. Toutefois, cette source de financement est plafonnée en application de la réglementation européenne : le montant total des aides publiques attribué à une production cinématographique ou audiovisuelle ne doit pas dépasser 50% du coût définitif de production de l’œuvre. En cas de coproduction internationale, le plafond de 50% s’applique au montant de la participation française.[1]
Des dérogations peuvent être accordées pour les œuvres cinématographiques dites « difficiles » ou « à petit budget » (< 1,25 M€), leur permettant d’aller jusqu’à 60% d’aides financières publiques.[2]
Dans cette catégorie nous regroupons deux sources de financement de nature différente : les préachats TV/SVOD France et les apports des coproducteurs étrangers.
Leur caractéristique commune est que la valeur supposée de marché de ce qui est acquis, à savoir des droits de diffusion en France dans le premier cas et les droits d’exploitation sur un territoire étranger dans le second, est inférieure au prix d’acquisition consenti.
- Les préachats de droits de diffusion des chaînes de télévision françaises et des plateformes SVOD diffusant en France :
Ces préachats, c’est-à-dire les achats en amont de la fabrication d’un film, par opposition aux achats sur film terminé, sont réalisés dans le cadre d’obligations d’investissement dans la production cinématographique imposées par décret aux diffuseurs importants.
Si ces obligations diffèrent selon le mode de diffusion, le principe est toujours le même : un pourcentage du chiffre d’affaires du diffuseur doit être consacré chaque année au financement de nouvelles productions. Ces investissements prennent la forme de préachats de droits de diffusion et s’inscrivent dans la chronologie des médias.
Du fait du caractère obligatoire, les prix d’acquisition sont supérieurs à la valeur de marché. En d’autres termes, cela signifie qu’un diffuseur va payer une fenêtre de diffusion d’un film en préachat plus cher que ce qu’il payerait en achat simple, c’est-à-dire sur film terminé, hors du cadre des obligations d’investissement.
Bien sûr, au moment du préachat, la valeur réelle de la fenêtre de diffusion n’est pas connue, elle dépendra énormément de la carrière du film (réussite artistique, succès ou non en salles, présence ou non dans un festival majeur etc). Et dans certains cas, notamment lorsqu’un film crée la surprise en réalisant un nombre d’entrées bien supérieur aux attentes, le prix d’acquisition en préachat s’avère sous-estimé. Cela reste des exceptions qui n’invalident pas la règle générale : le montant d’un préachat est bien supérieur à la valeur de marché de la fenêtre de diffusion achetée.
- Les apports de coproducteurs étrangers :
Dans le cadre d’une coproduction internationale, le coproducteur étranger apporte en amont des financements levés sur son territoire (aides publiques, préachats de diffusion, investissements…). En contrepartie, il conserve généralement l’intégralité des recettes générées sur son territoire. Le montant du financement apporté par le coproducteur étranger est, sauf exception, largement supérieur au montant que la société de production française pourrait espérer a posteriori par une vente des droits d’exploitation du film dans ledit territoire. En effet, le coproducteur étranger bénéficie sur son territoire de financements de plusieurs types : love money, soft money et hard money. C’est pourquoi le montant apporté par un coproducteur étranger en amont est généralement supérieur à la valeur de marché en aval.
Les financements en Soft Money sont plus coûteux pour la société de production que ceux en Love Money, puisqu’ils viennent en contrepartie de droits de diffusion en France ou de recettes sur un territoire étranger. Ils sont moins chers que la Hard Money dans la mesure où le prix de ces contreparties est supérieur à leur valeur de marché.
Enfin dans la catégorie Hard Money sont regroupés les investissements privés en contrepartie des recettes futures des films. Il s’agit de financements dits « de marché », c’est-à-dire qu’ils sont négociés de gré à gré entre les partenaires et qu’ils répondent à la loi du marché : si la société de production a peu de propositions d’investissement, alors elle risque de devoir accepter des conditions financières dures. Si au contraire le projet suscite un engouement des investisseurs qui se battent pour avoir le projet, alors les conditions financières seront beaucoup plus favorables pour la société de production.
Ces investissements se récupèrent et se rémunèrent sur les recettes futures d’exploitation du film, et sont principalement réalisés par :
- Les mandataires de l’exploitation du film (société de distribution en France, société de ventes internationales)
- Les fonds d’investissement et notamment les SOFICA (mais aussi coproducteurs financiers)
- Des prestataires du Film (industries techniques par exemple), comédiens ou comédiennes qui mettent en participation une partie de leur rémunération.
Répartition des financements par catégorie
En moyenne, la répartition entre les 3 catégories de financement est relativement équilibrée :
Elle permet de comprendre pourquoi le secteur du cinéma est potentiellement très intéressant pour des investisseurs : ils peuvent acquérir 100% des recettes futures pour un investissement de seulement 30% du coût du projet !
Cela demande bien sûr une solide expertise du financement de films, dont l’ingénierie est particulièrement complexe. Les investisseurs néophytes dans le secteur, s’ils ne sont pas accompagnés par des professionnels, n’obtiendront que des parts de recettes derrière les autres investisseurs aguerris et implantés dans le secteur.
La répartition entre les trois catégories de financement est sensible au budget du film :
Plus le budget est élevé, moins il y a d’amour.
Notons que sur les petits budgets (< 1M€) la part de Soft money est faible. Cela s’explique par le fait que ces projets ont tendance à ne pas être préachetés par des chaînes de télévision qui craignent que la qualité ne soit pas suffisante pour une diffusion sur leur antenne.
Ou à l’inverse, ce sont des projets qui ont dû revoir leur budget drastiquement à la baisse car ils n’ont pas été préachetés par des chaînes de télévision. La part de Hard Money est alors la plus élevée, ce sont des investissements risqués mais qui peuvent s’avérer extrêmement lucratifs : si le projet est réussi et rencontre un succès en salles de cinéma, les chaînes de télévision pourront l’acheter a posteriori pour des montants significatifs par rapport à la petitesse du budget.
Panorama des financements
– Le fonds de soutien automatique ;
– Les aides régionales et départementales à la production : Ce sont généralement des aides sélectives : un comité attribue les aides sur critères artistiques ;
– Les aides nationales sélectives (attribuées par un comité sur critères artistiques) :
- Avance sur recette du CNC avant réalisation ;
- Avance sur recette du CNC après réalisation ;
- L’appel à projet de films de genre : aide dirigée vers les projets de genres peu développés en France (comédie musicale, horreur, aventure…) ;
- L’aide au cinéma du monde : attribuée à des coproductions minoritaires françaises contribuant à promouvoir la diversité culturelle ;
- Les aides à la création visuelle et sonore : dirigée vers les projets valorisant des effets visuels numériques et le sound design ;
- Le fonds images de la diversité : aide aux projets contribuant à donner une représentation plus fidèle de la réalité française ou de son histoire ;
– Les aides pour les coproductions internationales (mini-traité franco-allemand, mini-traité franco-canadien…) : Elles s’inscrivent dans le cadre d’accords bilatéraux par lesquels deux pays subventionnent le projet coproduit ;
– L’aide à la création de musique originale : Grâce à cette aide, le CNC incite les producteurs à faire appel à des compositeurs pour créer des musiques de film originales ;
– Les aides européennes : Ces aides soutiennent les projets cinématographiques coproduits par plusieurs pays européens, notamment grâce au fonds Eurimages.
Un panorama complet de ces dispositifs d’aides est disponible sur l’excellent site Ciclic.
– Le crédit d’impôt cinéma : Aide automatique sous forme de crédit d’impôt calculée en pourcentage des dépenses de production éligibles.
Les préachats des chaînes de télévision :
Les chaînes de télévision, qu’elles soient gratuites ou payantes, ainsi que les plateformes SVOD, peuvent se placer sur plusieurs fenêtres exclusives régies par la chronologie des médias.
Ces fenêtres de diffusion sont définies par :
– Une date de démarrage fixée par rapport à la sortie du film en salle ;
– Une durée ;
– Le type de diffuseur qui y a accès :
- Chaînes par abonnement, appelées aussi « Pay TV » : Canal+, OCS, Cine+
- Chaînes non payantes, appelées aussi « Free TV » : TF1, France 2, France 3, Arte, M6 et les chaînes de la TNT
- Plateforme SVOD payantes, « Pay SVOD » : Netflix, Amazon Prime, Disney+…
Les fenêtres de diffusion que l’on retrouve le plus souvent dans les plans de financement sont les suivantes :
Note : il s’agit d’un résumé vulgarisé de la chronologie des media qui ne précise pas toutes les nuances. Il y a des variations notamment dans le cas où un film a réuni moins de 100 000 entrées en salles, et si le diffuseur a conclu ou non un accord interprofessionnel avec le secteur.
- Voir notre article présentant en détail la chronologie des medias
Les coproductions étrangères :
Lorsqu’un film est coproduit par un ou plusieurs pays étrangers, pour des raisons artistiques (une partie de l’histoire se déroule dans le pays, un acteur ou une actrice est de la nationalité du pays coproducteur…) et/ou financières, la société de production française signe avec le coproducteur étranger un contrat de coproduction, par lequel le chaque producteur s’engage à apporter un pourcentage du financement du projet.
Ces coproductions peuvent également permettre d’accéder à des subventions européennes et des aides dans le cadre de mini traités.
Selon le « Rapport sur la production en 2019 » du CNC, les principaux pays partenaires de la France sont :
– Les avances sur les recettes futures faites par les sociétés chargées de l’exploitation du film, appelées communément « MG » pour « Minimum Garanti » :
- MG Salles France : avance sur les recettes des salles de cinéma en France ;
- MG Vidéo France : avance sur les recettes d’exploitation DVD, Blu-ray et VoD en France ;
- MG International (ou Etranger) : avance sur les ventes aux territoires étrangers.
En général, c’est la même société qui détient les droits d’exploitation sur tous supports en France. Il est donc courant que la société apporte un « MG salle / vidéo France ». De même, il arrive que la même société détienne tous les mandats d’exploitation du film, en France et à l’international. C’est le cas souvent lorsqu’un groupe exploite le film (Pathé, Gaumont, Studiocanal…)
– Les investissements des SOFICA ;
– Les investissements de coproducteurs financiers ;
– Les mises en participation :
- D’une partie du coût de prestations (industries techniques par exemple) ;
- D’une partie des salaires des acteurs principaux ;
- D’une partie du salaire producteur et des frais généraux de la société de production.