Déterminer la rentabilité d’un film est un exercice complexe en raison du grand nombre de paramètres qui entrent en jeu et de l’expertise du secteur indispensable pour les interpréter correctement.
C’est pourquoi même le magazine professionnel Le Film Français ne s’aventure qu’à établir un classement annuel des films les plus rentables en se fondant uniquement sur le ratio nombre d’entrées en salle / budget du film. Ce qui ne rend absolument pas compte de la rentabilité réelle d’un film…
Pour avoir une vision juste, il convient de prendre en compte toutes les recettes d’un film, toutes les dépenses liées au film, la structure de son financement et la marge de fabrication.
Par ailleurs, après avoir apprécié la rentabilité globale d’un film du point de vue du projet, nous pouvons aller plus loin en distinguant la rentabilité pour chacun des partenaires ayant participer à son financement. En effet, par le jeu de répartitions différenciées des recettes, il n’est pas rare que, sur un même film, certains partenaires perdent de l’argent tandis que d’autres fassent une belle opération financière !
Nous exposons dans cet article en détail notre méthode de calcul de la rentabilité d’un film.
Calcul de la rentabilité globale d'un film
A) La question du terme
Les films sont potentiellement exploités sur des décennies. La Grande Vadrouille, sorti en salles le 8 décembre 1966, est encore rediffusé régulièrement à la télévision avec une audience toujours au rendez-vous. Chaque nouvelle vente de droit de diffusion vient augmenter la rentabilité de l’œuvre.
Il ne s’agit bien sûr pas du cas général, et si l’on fait abstraction des films qui deviennent cultes, ou des films ultra primés (Palme d’Or, Oscars), la majorité des recettes d’un film intervient dans les 4 premières années d’exploitation.
Nous faisons le choix d’analyser la rentabilité des films à moyen terme, sur une période de 8 années d’exploitation.
B) Les paramètres à prendre en compte
1 - L'ensemble des dépenses liées au film
- Le coût total de production ;
- Les frais de commercialisation en France (frais d’édition =
frais avancés par la société de distribution pour la sortie du film en salles) ; - Les frais de commercialisation à l’international (frais
avancés par la société chargée des ventes internationales du film).
2 - La totalité des recettes
- La marge de production ;
- Les recettes en France (exploitation en salles, exploitation vidéo physique et VOD, exploitation TV & SVOD) ;
- Les ventes à l’international ;
- Les recettes des droits dérivés en France et à l’international ;
- Les fonds de soutien Producteur et Distributeur ;
- Les dispositifs d’aide à l’exploitation : aide au programme du CNC, contribution Canal+/CNC.
3 - La structure du financement
En plus des dépenses et des recettes, il est indispensable de prendre en compte la structure du financement du projet.
Pour cela, il faut étudier la proportion de Love money (subventions, aides…), Soft money (préachats TV/SVOD et coproductions étrangères) et Hard money (investisseurs) qui compose le financement du film.
Par exemple, à coût de production, frais de commercialisation et recettes rigoureusement identiques, un film A ayant dans sa structure de financement 20% de Hard money sera beaucoup plus rentable qu’un film B financé à 70% par de Hard money.
Les investissements sur le film A seront mathématiquement amortis plus rapidement que sur le film B, et le volume de recettes excédentaires sera en conséquence plus élevé. Avec ces paramètres, on peut établir l’équation suivante pour évaluer la rentabilité d’un film, exprimé en retour sur investissement (RSI) :
Avec :
- A = Total des recettes ;
- B = Total des coûts ;
- C = Montant des financements non amortissables par les recettes.
Quelle rentabilité et pour qui ?
L’ensemble des recettes d’un film ne sont pas réparties équitablement entre les partenaires. Il ne s’agit pas d’un pot commun partagé entre les financeurs à proportion de leur apport. En effet, les recettes sont de différentes natures, et certaines ne sont pas accessibles à tous les partenaires. De plus certains investisseurs bénéficient de leviers de rentabilité indépendants des recettes commerciales.
Aussi, sur chaque film les répartitions diffèrent en fonction des accords signés entre les partenaires et des spécificités de chaque participant au plan de financement.
Par exemple, un film qui échoue sur le marché français mais qui connait un grand succès à l’international pourra être rentable pour les partenaires positionnés sur ce support et pas pour la société de distribution en France.
Autre exemple, un film qui en amont de la production suscite un engouement des guichets de financement qui se battent pour l’avoir sera bien financé, c’est-à-dire que la société de production en tirera une marge de production substantielle qui lui sera acquise même si le film est in fine un échec commercial.
Voici quelques spécificités selon les acteurs du financement à avoir en tête pour jauger la rentabilité :
A) La société de production déléguée
Lors de la phase de montage financier, la société de production déléguée cherche le financement suffisant pour couvrir le coût de production du projet. Pour cela, elle cède à des investisseurs (mandataires, SOFICA, coproducteurs financiers…) des pourcentages de droits à recettes futures.
C’est pourquoi dans la majorité des cas, la société de production passe après les partenaires financiers sur les recettes à court terme (Salle, Vidéo, VOD France, ventes inter) et conserve des pourcentages uniquement sur la valeur de catalogue (TV & SVOD France).
En revanche, elle pourra se rémunérer sur la marge de production, arme à double tranchant puisqu’en cas de dépassement de budget, la marge de production peut être faible, voire négative.
Par ailleurs, le CNC a sanctuarisé pour la société de production déléguée 100% du fonds de soutien producteur jusqu’à 150 000 euros, puis 50% de ce fonds de soutien.
Bien sûr, lorsqu’un projet en amont de la production enthousiasme tous les financiers de la place, une société de production habile saura à la fois optimiser sa marge de production tout en se préservant des pourcentages de recettes, gagnant ainsi sur tous les tableaux lorsque le film est un succès.
B) Les sociétés de production en salles
Les sociétés de distribution en salles investissent sur les recettes futures en salles, vidéo et VOD en France (Minimum Garanti), et engagent les frais de commercialisation du Film, ce qui représente un risque supplémentaire par rapport aux autres partenaires financier du Film. En effet, le montant des frais de commercialisation est souvent supérieur au montant du Minimum Garanti.
En contrepartie, elles disposent selon les cas :
- D’une aide spécifique du CNC, l’« aide au programme » ;
- D’une contribution à la distribution CNC/ CANAL + / OCS ;
- De la perception des recettes salles au premier euro ;
- Du fonds de soutien Distributeur, recette supplémentaire en fonction du nombre d’entrées en salle qui lui est réservée.
La rentabilité d’une société de distribution repose logiquement fortement sur les recettes salles, vidéo et VOD en France.
C) Les sociétés de vente à l'internationale
Les sociétés de vente internationale investissent sur les recettes futures à l’international (Minimum Garanti Inter). Elles avancent les frais de commercialisation du Film à l’international, ceux-ci sont toutefois mesurés (en comparaison des frais de commercialisation pour l’exploitation en salles de cinéma).
La rentabilité repose uniquement sur les recettes à l’international, y compris l’aide à l’exportation du CNC générée par les entrées réalisées en salles à l’étranger, et réservée exclusivement à la société de vente.
D) Les SOFICA
Les investissements des SOFICA sont encadrés et soumis à de nombreuses contraintes (quota sur les premiers et deuxièmes films de réalisatrice / réalisateur, sur les petits et moyens budget etc). Elles n’ont pas le droit de percevoir du fonds de soutien producteur, ni des subventions d’exploitation.
Elles bénéficient en revanche d’un avantage fiscal fort qui fait levier sur leur rentabilité.
E) Les coproductieur.trice.s financier.ère.s
Ces sociétés coproductrices investissent des fonds en contreparties de parts de copropriété du film, de RNPP et du fonds de soutien financier producteur, au-delà de la franchise de 150 000 € réservée au producteur délégué.
Il arrive que des sociétés de distribution en salle ou de vente à l’international soient également coproductrices financières du film.
Dans ce cas l’investissement est supérieur et double :
- En Minimum Garanti sur les recettes futures ;
- En coproduction financière.
Elles peuvent en contrepartie cumuler les avantages en ayant accès :
- Prioritaire aux recettes ;
- Aux subventions d’exploitation ;
- Au fonds de soutien producteur ;
F) Les groupes
Les groupes sont des sociétés du secteur intégrées verticalement : elles intègrent plusieurs maillons de la chaîne : production, distribution salles, vente à l’international, vente TV/SVOD, chaînes de TV/SVOD, circuit de salles de cinéma…
Ainsi lorsqu’un groupe investit dans un film, il mutualise son investissement sur la production et l’ensemble des supports d’exploitation, ce qui lui permet l’accès à toutes les recettes et au fonds de soutien Producteur.
En revanche, les groupes sont coupés de plusieurs dispositifs d’aide du CNC.